Tu
te tiens en face de moi. Si tu savais comme je te hais. Oui, tu me
regardes avec ton air supérieur. Tu aimes bien te croire meilleur
que nous. Tu me nargues avec ton sourire faussement innocent. Tu
grimaces dans son dos. Tu me cherches. Tu me connais et tu sais que
je ne tiendrais pas.
«
Vas-y, ris » pensais-je bêtement « tu riras moins plus tard. »
L'exaspération
nous gagne. Elle et moi. Moi parce que tu m'as chauffé à blanc et
que je suis sur le point d'exploser. Elle, parce qu'elle n'aime pas
que je m'énerve. Tu sais que si je craque, je crierai. C'est comme
ça. Tu me provoques. Je craque. Je t'engueule, te hurle dessus,
parfois te frappe. Tu réponds. Ah ça tu sais le faire. Tu
es comme un miroir. Je fais quelque chose et tu me le renvois. Et ça
fait mal. Mais moins mal que lorsqu'elle intervient. Parce que tu
joues et moi pas, elle s'en prend à moi. Parce que j'ai crié
plus fort, parce que je m'énerve le plus souvent. Parce que tu
prends cet air de chien battu devant elle et rejettes la faute sur
moi. Alors, je m'énerve encore plus. Même devant elle je
te crie dessus. Elle s'énerve à son tour, contre moi. Toi tu te
mets en recul et tu observes. Tu regardes ces deux bêtes
sauvages qui se battent. Tu ris intérieurement de notre
primitivisme. Tu te sens supérieur. Ah tiens l'un d'eux faiblit.
Moi, évidemment. Parce que tu sais que je ne pourrai jamais
rivaliser avec elle. J'ai trop de respect pour elle.
J'ai
mal. Pas physiquement, pas toujours. Non j'ai mal en moi. Parce
que je crie contre elle, que je la blesse, que je t'ai
blesséavant, que tu te réjouis de ma souffrance.
Mais
moi je t'aime. Je l'aime. Malgré tout ce que tu me
fais, tout ce que tu me dis. L'amour est plus fort que
tout. Mais toi tu t'en fiches, enfin je crois. Il me semble que
la vie n'est qu'un grand terrain de jeu pour toi.
Je
t'envie pour ça. Tu arrives à prendre tout à la légère. Même la
séparation. Tu te souviens de ta réaction quand ils nous l'ont dit
? Quand elle et lui se sont séparés ? Du haut de tes six
ans tu as presque jubilé : « Chic papa, il s'en va. ». Mais c'est
cette attitude qui me dépasse et m'énerve. Tu fais mal. Tu
joues de nos sentiments.
En
fait je crois que tu m'en veux. Parce que c'est de MA faute si
la justice a été prévenue de SA violence. Parce que c'est MOI
qui suis arrivé à l'école en pleurant, les joues marquées par la
main de mon père. Parce J'AI osé penser tout haut qu'ils
allaient divorcer. Parce que je suis différent.
Je
me sens différent de vous tous. J'entends les gens le dire. Alors je
ne me sens plus chez moi. Je cherche ma place parmi vous. Le vilain
petit canard attend d'être un cygne, mais ce bel
animal ne vient pas.
Alors je
pleure. Je ris. J'écris. Je chante. Je dessine. Je lis. Je vis à ma
façon. Et tu n'aimes pas. Tu détestes cet univers qui est
le mien. Cet endroit qui n'existe pas et où tu n'as pas ta
place. Alors tu viens me voir, me rappeler que tu es là.
Tu es toujours là. Pas besoin de tes simagrées, de tes provocations
pour que je le remarque. Je le sais déjà.
J'aimerais
te dire que je t'aime, que je tiens à toi. Que lors de nos dispute
je crois que j'ai encore plus mal parce que je cherche à te blesser.
Je n'aime pas la violence. Qu'elle soit physique ou verbale. Je hais
ça. Peut-être parce que nous avons grandi dedans et que
finalement, ce que nous croyions être normal n'était qu'un tissu de
mensonge et d'inhumanités.
J'en
ai marre tu sais ? Je n'en peux plus de vous voir vous chercher
constamment pour imposer votre place. J'en ai eu marre de me faire
écraser par toi, par les autres. Alors, quand je me suis relevé tu
t'es attaqué à moi. Tu avais enfin une raison de me faire
payer les erreurs de mon père. Et puis un jour j'ai fini par en
avoir trop pour supporter. J'avais déjà essayé cette
solution, pour dire « stop ! C'est trop ! » mais ce n'était pas
sérieux. Ce soir par contre je le fais pour de bon. Car être
avec vous et devoir passer pour quelqu'un de normal et épanoui en
extérieur, je n'aime pas. Tu sais ce masque que vous aimez
tellement porter toi et Père. Moi aussi je l'ai mais c'est
un masque de joie qui cache la tristesse de mon âme. Alors ce
soir je l'enlève. Je fais comprendre à tous que ma
vie n'est pas joyeuse. Que je ne supporte pas autant que
vous le croyiez. Je vous demande juste pardon. A toi, à mère, à
père aussi. Je vous pardonne également. Je te pardonne d'avoir
voulu être meilleur que moi en tout en nous rabaissant par
la-même. Je pardonne à mère de ne pas avoir su me soutenir et
m'aider. Je pardonne à Père de m'avoir fait du mal, de m'avoir
torturé l'esprit. C'est en pensant à vous que je pars ce soir.
Bonne
chance P. Vis ta vie de Shaw.
Moi
je pars...
Ton
grand frère qui t'aime.
Histoire
d'une Langue de Pute
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire