22 janv. 2012

§1 Cher P.


Tu te tiens en face de moi. Si tu savais comme je te hais. Oui, tu me regardes avec ton air supérieur. Tu aimes bien te croire meilleur que nous. Tu me nargues avec ton sourire faussement innocent. Tu grimaces dans son dos. Tu me cherches. Tu me connais et tu sais que je ne tiendrais pas.
« Vas-y, ris » pensais-je bêtement « tu riras moins plus tard. »

L'exaspération nous gagne. Elle et moi. Moi parce que tu m'as chauffé à blanc et que je suis sur le point d'exploser. Elle, parce qu'elle n'aime pas que je m'énerve. Tu sais que si je craque, je crierai. C'est comme ça. Tu me provoques. Je craque. Je t'engueule, te hurle dessus, parfois te frappe. Tu réponds. Ah ça tu sais le faire. Tu es comme un miroir. Je fais quelque chose et tu me le renvois. Et ça fait mal. Mais moins mal que lorsqu'elle intervient. Parce que tu joues et moi pas, elle s'en prend à moi. Parce que j'ai crié plus fort, parce que je m'énerve le plus souvent. Parce que tu prends cet air de chien battu devant elle et rejettes la faute sur moi. Alors, je m'énerve encore plus. Même devant elle je te crie dessus. Elle s'énerve à son tour, contre moi. Toi tu te mets en recul et tu observes. Tu regardes ces deux bêtes sauvages qui se battent. Tu ris intérieurement de notre primitivisme. Tu te sens supérieur. Ah tiens l'un d'eux faiblit. Moi, évidemment. Parce que tu sais que je ne pourrai jamais rivaliser avec elle. J'ai trop de respect pour elle.
J'ai mal. Pas physiquement, pas toujours. Non j'ai mal en moi. Parce que je crie contre elle, que je la blesse, que je t'ai blesséavant, que tu te réjouis de ma souffrance.

Mais moi je t'aime. Je l'aime. Malgré tout ce que tu me fais, tout ce que tu me dis. L'amour est plus fort que tout. Mais toi tu t'en fiches, enfin je crois. Il me semble que la vie n'est qu'un grand terrain de jeu pour toi.
Je t'envie pour ça. Tu arrives à prendre tout à la légère. Même la séparation. Tu te souviens de ta réaction quand ils nous l'ont dit ? Quand elle et lui se sont séparés ? Du haut de tes six ans tu as presque jubilé : « Chic papa, il s'en va. ». Mais c'est cette attitude qui me dépasse et m'énerve. Tu fais mal. Tu joues de nos sentiments.
En fait je crois que tu m'en veux. Parce que c'est de MA faute si la justice a été prévenue de SA violence. Parce que c'est MOI qui suis arrivé à l'école en pleurant, les joues marquées par la main de mon père. Parce J'AI osé penser tout haut qu'ils allaient divorcer. Parce que je suis différent.

Je me sens différent de vous tous. J'entends les gens le dire. Alors je ne me sens plus chez moi. Je cherche ma place parmi vous. Le vilain petit canard attend d'être un cygne, mais ce bel animal ne vient pas.
Alors je pleure. Je ris. J'écris. Je chante. Je dessine. Je lis. Je vis à ma façon. Et tu n'aimes pas. Tu détestes cet univers qui est le mien. Cet endroit qui n'existe pas et où tu n'as pas ta place. Alors tu viens me voir, me rappeler que tu es là. Tu es toujours là. Pas besoin de tes simagrées, de tes provocations pour que je le remarque. Je le sais déjà.

J'aimerais te dire que je t'aime, que je tiens à toi. Que lors de nos dispute je crois que j'ai encore plus mal parce que je cherche à te blesser. Je n'aime pas la violence. Qu'elle soit physique ou verbale. Je hais ça. Peut-être parce que nous avons grandi dedans et que finalement, ce que nous croyions être normal n'était qu'un tissu de mensonge et d'inhumanités.

J'en ai marre tu sais ? Je n'en peux plus de vous voir vous chercher constamment pour imposer votre place. J'en ai eu marre de me faire écraser par toi, par les autres. Alors, quand je me suis relevé tu t'es attaqué à moi. Tu avais enfin une raison de me faire payer les erreurs de mon père. Et puis un jour j'ai fini par en avoir trop pour supporter. J'avais déjà essayé cette solution, pour dire « stop ! C'est trop ! » mais ce n'était pas sérieux. Ce soir par contre je le fais pour de bon. Car être avec vous et devoir passer pour quelqu'un de normal et épanoui en extérieur, je n'aime pas. Tu sais ce masque que vous aimez tellement porter toi et Père. Moi aussi je l'ai mais c'est un masque de joie qui cache la tristesse de mon âme. Alors ce soir je l'enlève. Je fais comprendre à tous que ma vie n'est pas joyeuse. Que je ne supporte pas autant que vous le croyiez. Je vous demande juste pardon. A toi, à mère, à père aussi. Je vous pardonne également. Je te pardonne d'avoir voulu être meilleur que moi en tout en nous rabaissant par la-même. Je pardonne à mère de ne pas avoir su me soutenir et m'aider. Je pardonne à Père de m'avoir fait du mal, de m'avoir torturé l'esprit. C'est en pensant à vous que je pars ce soir.

Bonne chance P. Vis ta vie de Shaw.
Moi je pars...
Ton grand frère qui t'aime.

Histoire d'une Langue de Pute

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